Traduire la poétique du paysage de Siloé de Paul Gadenne au rythme des figures de répétition

By Pascale Janot (Università di Trieste, Italia)

Abstract & Keywords

English:

In Paul Gadenne's debut novel, Siloé, the mountainous landscape is more than a mere backdrop or setting; it is, in fact, one of the characters, with which the protagonist, Simon Delambre, forms a fusional relationship. In order to transmit its rhythms, and the natural colours and sounds that surround Crêt d’Armenaz – the TB sanatorium where the young Simon is a patient – Gadenne uses figures of repetition, at the syntactic, lexical and phonetic levels. Following a discursive and perfomative approach, the present article seeks to analyse – both in the original French text, as well as the Italian translation currently in progress – the reticular textual dimension of figures of repetition, which due to their organisation in a network, function as signifiers and form-meaning (form-sens), while the descriptions of the mountains assume a real presence as natural phenomena.

French:

Dans Siloé, le premier roman de Paul Gadenne, le paysage de la montagne est bien plus qu’un décor ; c’est véritablement un personnage avec lequel Simon Delambre, le héros, établit une relation fusionnelle. Pour donner à voir et à entendre ses rythmes, ses couleurs, ses sons de la nature qui entoure le Crêt d’Armenaz – le sanatorium où le jeune Simon doit séjourner car atteint de tuberculose –, Gadenne recourt aux figures de la répétition, au niveau syntaxique, lexical et phonique. Dans une optique discursive et performative, cet article se propose d’analyser, dans le texte en français et sa traduction en italien, la dimension textuelle réticulaire des figures de répétition, signifiants qui, par le biais de la reprise en réseau, deviennent des formes-sens et qui, dans le cadre de la description des paysages de la montagne, donnent corps aux phénomènes de la nature.

Keywords: Gadenne, paysage, figures de répétition, forme-sens

©inTRAlinea & Pascale Janot (2020).
"Traduire la poétique du paysage de Siloé de Paul Gadenne au rythme des figures de répétition", inTRAlinea Vol. 22.

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Introduction

Paul Gadenne (1907-1956) confia un jour à l’écrivain Guy Le Clec’h : « On marche beaucoup dans mes romans on marche parce que je pense d’abord aux arbres je pense d’abord aux routes et puis les personnages viennent ensuite… »[1]. En disant cela, Gadenne pensait sûrement à Siloé[2], son tout premier roman publié en 1941, d’où l’on retient les paysages grandioses des montagnes d’Armenaz que sillonne et décrit Simon Delambre, le personnage principal.

Atteint de tuberculose, ce jeune homme dynamique et pressé préparant l’agrégation de lettres à la Sorbonne, qui s’interroge sur le sens à donner à une vie déjà toute tracée, doit soudainement quitter Paris et de brillantes études pour se rendre dans un sanatorium, le Crêt d’Armenaz[3]. Le titre du roman vient de l’Évangile selon Saint Jean : l’aveugle de naissance, après s’être lavé les yeux à la fontaine de Siloé, voit. La tuberculose va donc paradoxalement ouvrir les yeux à Simon Delambre sur la vraie vie et, dans le sanatorium, lieu apparemment clos, ses yeux s’ouvrent sur le monde (Sarrou, 2003: 11) : « La maladie, en l’immobilisant, lui avait rendu le monde visible. » (Gadenne, [1974] 2013: 333). Ce monde devenu visible est, dans Siloé, passé au filtre (ou philtre) de la nature qui est bien plus qu’un décor dans lequel évoluent les personnages. Elle est d’une certaine façon elle-même un personnage, un corps mouvant et changeant qui, au fil des saisons, rythme la vie du sanatorium, imprègne celle de ceux qui, comme Simon, entendent et répondent à son appel ; elle donne son souffle à la narration, détermine toute l’architecture du récit.

Ainsi la quête intérieure du jeune Simon, son initiation au monde, répond-elle à un mouvement ascensionnel vers la lumière et la pureté – « le monde supérieur » – dans l’espace qui se déploie autour du sanatorium : Simon séjournera dans la « Maison », le bâtiment principal du sanatorium, d’où il ne pourra initialement pas sortir ; son état de santé s’étant amélioré, il sera ensuite transféré au Mont-Cabut, dans un pavillon situé un peu plus haut, d’où il commencera à arpenter les sentiers par lesquels il accèdera aux plateaux et aux sommets des montagnes entourant le Crêt d’Armenaz. 

Ce cheminement à pied vers les hauteurs, guidé par Ariane, la jeune femme dont Simon s’éprend, le conduit à la découverte et à la connaissance profonde du monde de la nature, au contact duquel il vivra un an et qui fera de lui un créateur.

Mais le rapport de Simon à la nature s’établit également sur un plan horizontal, celui de la contemplation : au début de la convalescence, c’est un paysage menaçant, impénétrable, incolore qui est décrit des fenêtres du sanatorium :

[…] on ne pouvait presque rien voir. Le temps restait morne, bouché. La forêt, les rochers, privés de couleurs, se confondaient dans une grisaille uniforme qui semblait exsuder à la fois de cette terre gonflée d’eau, de ces prairies repues ; tandis que le ciel, comme une toile dont on ne peut retenir les plis, pendait tristement d’un bord à l’autre de la muraille circulaire qui opposait à tout désir d’évasion ses barrières proches. (p. 124-125)

La « cure silencieuse », cette « retraite magique » sur le balcon à laquelle Simon doit se soumettre chaque jour, puis l’installation au pavillon du Mont-Cabut, donnent accès au paysage. La nature qui est vue n’est alors plus synonyme d’obscurité, de grisaille et de tristesse, mais de lumière, de couleurs et de joie :

La prairie venait à lui, coulant comme une eau verte, intarissable, étoilée de points multicolores ; elle venait se mettre à son niveau, elle venait s’appliquer avec une sorte de douce frénésie contre les barreaux du balcon d’où elle le regardait, lui, l’hôte étrange de cette chambre, l’habitant de cette cabine, le passager aux exaltations solitaires. Et vraiment, il n’y avait plus qu’elle. Il la sentait vivre. Elle avait un rythme, une volonté. Simon se penchait sur elle avidement et comprenait qu’il ne lui échapperait plus : elle le voulait à elle, et lui-même n’avait d’autre désir ; elle avait balayé de son être toutes les cendres qui l’alourdissaient et une joie énorme, une joie pure montait en lui […] (p. 211-212)

P. Mertens dit à propos de Siloé : « Le bonheur d’exister se transmue ici en bonheur d’écriture » ([1973] 2013: 12). Ce bonheur, que la contemplation de la nature permet d’atteindre, se traduit en effet par un heureux foisonnement narratif fondé sur la figure de la répétition, qui parcourt toute l’œuvre et lui donne sa force dramatique et poétique. Tout concourt chez Gadenne, par le biais de ce procédé, à la restitution de ce que la nature a de plus vital – ses perspectives, son rythme, ses sons, ses chromatismes –, participant d’une montée en puissance de l’écriture. C’est ce trait particulier du style gadennien qui a donné naissance au projet de traduction du roman[4] et qui en constitue, notamment, l’« horizon traductif » (Berman, 1995: 16) mû par le désir d’en transposer en italien toute la prégnance. Dans une optique discursive et performative, après une brève présentation du cadre théorique dans lequel nous nous situons, nous analyserons la figure de la répétition dans des descriptions de paysages et leur traduction en italien.

1. Cadre théorique : la répétition, cette mal-aimée

1.1 Proscrite en traduction, et pourtant… et pourtant…

En traduction, la répétition (de mots, de syntagmes) a plutôt mauvaise réputation. Elle est d’ailleurs parfois purement et simplement éliminée. Rappelons Meschonnic critiquant virulemment la traduction de Celan par du Bouchet : « On s’étonne […] que des poètes, traduisant un poète, installent des omissions là où pas un mot n’est en trop » (1973: 390-391) ; ou bien, en prose cette fois, celle du début du roman de Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur (Seuil, 1981), où le traducteur, là aussi, sape le texte de ses répétitions (1999: 218-219). Dans les deux cas, c’est tantôt le style et le jeu des sonorités, tantôt tout le mouvement du texte qui sont cassés par ces amputations. Kundera blâme quant à lui le « réflexe de synonymisation » (1993: 131-132) qui pousse les traducteurs à user d’un prétendu synonyme de l’équivalent répété dans la langue-cible, jugé trop lourd ou trop plat, faisant fi, selon le romancier, des deux fonctions fondamentales, sémantique et mélodique, de la répétition. Passant outre, par conséquent, au « savoir-faire » de ce procédé : « si on répète un mot c’est parce que celui-ci est important, parce qu’on veut faire retentir, dans l’espace d’un paragraphe, d’une page, sa sonorité ainsi que sa signification. » (Idem: 139).

La répétition semble, malgré tout, avoir meilleure presse en poésie où il est généralement admis qu’elle y « fait converger les dimensions sémantique, phonique, rythmique, et métrique de celui-ci, et se constitue en « figure » singulière liée à sa structure même. » (Lindenberg, Vegliante, 2011: 10-11), et qu’elle y est « le signe ou le signal de quelque chose : par elle le poète affirme sa différence et son écart par rapport à l’emploi conventionnel d’une langue. » (Idem: 16). La répétition est donc bien perçue comme un acte conscient et fondamental de l’auteur, y revêtant, peut-être plus qu’ailleurs, un caractère subversif (Lusetti, 2019: 112). Ce statut est moins évident en prose. Berman déplore d’ailleurs la discrimination dont cette dernière est victime par rapport à la poésie, « les déformations de la traduction » y étant mieux acceptées par les critiques de la traduction ou passant carrément inaperçues (1985: 68).

Dans ce cadre, les traducteurs semblent partagés entre le désir de suivre les choix de répétitions des auteurs et le devoir de suivre une norme qui considère la répétition comme un défaut d’écriture. Il suffit de lire les notes de traduction de Levi traduisant Kafka ou bien d’Eco traduisant de Nerval, (Raccanello 2006: 380-381). On peut aisément supposer que la prégnance de cette norme, en français et en italien du moins, pousse parfois le traducteur à ne pas reconnaître « à la reprise littérale une quelconque utilité sur le plan du sens qu’il se permet de l’ignorer. Répéter, ce serait ne rien dire de plus. » (Prak-Derrington, 2011: 294).

Et pourtant, la répétition est exploitée par bon nombre d’écrivains de langues différentes. Jay-Rayon pose d’ailleurs, sans la développer, la question d’une universalité et uniformité de cette figure, précisant qu’à défaut, « elle tient du littéraire en général, et donc de la mise en scène de la langue, de sa théâtralisation » (2014 : 149). Elle caractérise même, chez certains, l’écriture. Prak-Derrington montre que, chez T. Bernhard et H. Müller, il existe un « jusqu’au-boutisme de la répétition » fondé notamment des rimes intérieures, des assonances, des allitérations qui participent respectivement de la « virtuosité et la musicalité » et de la « quête d’une langue où les mots-objets doivent exister dans toute leur matérialité ». Ici, le son et le sens sont indissociables (2011 : 295). La réitération d’unités lexicales et de syntagmes également, restitue, chez ces auteurs, la cadence des gestes, une « iconicité » que les traductions françaises analysées tendent malheureusement à démolir, « par souci d’élégance et embarras face à un procédé considéré comme maladroit » (Idem : 299), alors que les mêmes figures de répétitions auraient pu être reproduites.

Certes, les répétitions de la langue-source ne sont pas toutes transposables dans la langue-cible. Au-delà des raisons susmentionnées qui poussent les traducteurs à bannir les répétitions, parfois, c’est la structure de la langue d’arrivée qui semble empêcher la reprise d’éléments, comme l’a montré Bramati (2013 ; 2017), dans des traductions italiennes d’écrivains français cette fois, chez qui la figure de répétition est récurrente. Cela peut se vérifier aux niveaux lexical (le sémantisme d’un mot répété ne peut être maintenu dans le contexte d’arrivée et exige une variation), grammatical (certains éléments comme les pronoms personnels, nécessaires en français mais facultatifs en italien, créent une insistance inexistante en français), stylistique (parfois, la répétition quantitativement identique d’un mot produit un effet cacophonique) (2013 : 505-507). Le traducteur peut renoncer à reproduire une répétition pour des raisons « euphoniques ». Sur ce point, s’interrogeant sur le degré d’acceptabilité des répétitions par le public, Bramati montre également que, dans une traduction en italien, l’acceptation ou le refus d’une répétition dépend de sa « structure ». Ainsi, si la relance syntaxique, l’épanaphore et l’anaphore sont régulièrement reproduites en italien, des répétitions comme l’épiphore et les répétitions symétriques par rapport au verbe posent de vrais problèmes d’euphonie (2017). La « distance » entre les éléments répétés est un autre critère qui influence l’acceptabilité d’une répétition : plus une répétition est distanciée d’une autre et plus elle a de chances d’être perçue comme acceptable (Ibid.).

1.2 Méthodologie et corpus

Du point de vue de l’analyse linguistique, la répétition a, là aussi, longtemps été victime d’idées reçues[5] que nous n’aborderons pas ici. Nous adhérerons, pour mener cette étude, à une définition large de cette notion, à celle proposée par Magri-Mourgues et Rabatel (2015a et b) qui l’ont remise au travail pour en observer les formes et les effets pragmatiques[6]. Ainsi peut-on « penser la répétition comme le retour à l’identique d’un même son, d’un même mot ou d’un même tour syntaxique » (2015c: 10). Ce qui est pour nous particulièrement important, c’est que la variation est à prendre en considération dans le cadre de la répétition :

[…] il parait coûteux d’éliminer de la problématique de la répétition les variations à ces trois niveaux, et, d’ailleurs, bien des travaux refusent cette amputation, notamment en rhétorique et en stylistique. En effet, au plan sonore, par exemple, il est difficile d’isoler la répétition stricte de phénomènes connexes qui jouent avec la récurrence de sonorités approchantes (c’est toute la constellation de la paronymie). De même, au plan lexical, il est difficile d’évacuer de la répétition les phénomènes de variations morphologiques (voir les polyptotes, homéoptotes). De même encore, si l’on s’intéresse aux répétitions syntaxiques. […] Cela ne concerne pas toutes les variations […] mais seulement celles qui n’émergent que dans un cadre (sonore, lexical, syntaxique) suffisamment prégnant pour que la variation ne fasse sens que comme modulation du même ou comme jeu distancié avec le même […]. (Idem: 10-11) (C’est nous qui soulignons)

Ce que confirme Prak-Derrington :

La répétition n’exclut pas la variation, et, bien souvent, répétition et reformulation se rejoignent pour former des formes hybrides, répétitions reformulantes ou reformulations répétitives. (2015b: 16)

Dans le cadre de l’analyse d’une écriture littéraire et poétique, la répétition en tant que figure, ou « figuralité » (Magri-Mourgues, Rabatel, 2015c: 14), est perçue comme un phénomène « volontaire et significatif, sinon toujours pour le locuteur (qui ne maîtrise pas totalement sa plume), du moins pour le lecteur », qui souligne « les relations sémantiques et les intentions pragmatiques d’un texte, interprétable selon une logique qui ne répond pas seulement à celle du fil du discours, mais s’ouvre à des organisations réticulaires […] » (Ibid.). Il se déploie chez Gadenne, une « dimension textuelle réticulaire des figures de répétition » (Idem:16 ; Prak-Derrington, 2015a: 40 : Bonhomme, 2005) à l’intérieur de laquelle l’amplification acquiert une dimension structurante de la dynamique textuelle (Magri-Mourgues 2015: 45). Nous avons parlé plus haut d’une montée en puissance de l’écriture au fur et à mesure que le personnage principal entreprend son ascension vers la connaissance profonde du « monde supérieur » de la nature, et de lui-même. Cela passe, par exemple, par la répétition, tout au long du roman, des conjonctions mais et et, de l’adverbe puis qui, invariablement, viennent ponctuer et rythmer l’action du récit ; de même peut-on relever les répétitions de locutions construites par dédoublement lexical et/ou paronymiques, telles que de loin en loin, petit à petit, tour à tour, çà et là, tout à coup, sur lesquelles repose la dynamique visuelle, corporelle, gestuelle du roman. Dans Siloé, les répétitions travaillent le texte, elles le cisellent pour lui donner une forme et un rythme, fonction particulièrement évidente dans les descriptions des paysages des montagnes d’Armenaz et qui constitue en cela un enjeu de traduction. Notre corpus est donc constitué d’une sélection d’extraits où la répétition est « au travail », en français et en italien.

Pour Prak-Derrington, les figures de la répétition, qui ne sauraient se limiter à l’anaphore rhétorique, forment un « continent » au sein des figures (de rhétorique) et « mettent en œuvre un mode de textualisation spécifique, qui n’est plus celui de la cohérence sémantique, ou de la pertinence pragmatique, mais celui des formes-sens de la répétition » (2015b: 12). C’est cette notion de forme-sens que nous entendons interroger ici – qui n’est pas sans rappeler la notion de « mot-objet » évoquée plus haut (Prak-Derrington, 2011: 295) :

[…] que l’on répète une voyelle ou une consonne, un morphème, un mot ou groupe de mots ou une phrase entière, il s’agit toujours d’une mise en œuvre de la matérialité sonore des signes. Le mode des formes-sens de la répétition est le mode de la corporéité des signes : vocale pour celui qui parle, auditive pour ceux qui l’écoutent. C’est de cette matérialité sonore que découlent les effets pragmatiques de la répétition. (Prak-Derrington, 2015b: 18)

Les procédés de répétition sont nombreux. Nous reprendrons les figures fournies par les études rhétoriques, notamment par Frédéric (1985), reprises et complétées par Prak-Derrington (2015b) : répétitions phoniques (allitérations, assonances, etc.) ; répétitions syntaxiques (anaphore, épiphore, anadiplose, etc.) ; répétitions lexicales, qui portent sur un mot (antanaclase, polysyndète, etc.). La liste des figures de répétition est « constitutivement ouverte » :

Dès lors que des signifiants (son, lettre, syllabe, morphème, affixe, mot, groupe de mots, phrase, paragraphe…) sont répétés, ils perdent leur transparence, ils sont opacifiés, ils deviennent des forme-sens. On arrive à ce constat extrême : toute répétition est susceptible, en contexte, de faire figure ! » (Idem: 18).

2. Analyse

2.1 Une matrice syntaxique aux formes variables

Dans Siloé, la nature est un corps qui se meut et se fait entendre. Pour donner à voir, à travers les yeux de son personnage, le mouvement qui anime la nature, Gadenne recourt à une sorte de matrice syntaxique (le plus souvent de prédication thème-rhème), ou « macro-figure » (Prak-Derringhton, 2015a: 40), s’articulant en réseau et fondée, notamment, sur la répétition de verbes d’activité (Mezzadri-Guedj, 2019: 31). Observons quelques exemples tirés du texte français :

1. Aux confins de la prairie, une route étroite s’en allait, se perdait derrière un buisson et réapparaissait plus loin, en train de grimper sur un tertre. (p. 212)
2. [Le torrent] passait entre les gros blocs de rochers en hurlant, puis se retournait d’un coup de reins et montrait son ventre. (p. 250)
3. De grands changements s’annonçaient au Crêt d’Armenaz. Les dernières chutes de neige passèrent en rapides giboulées, battirent les bois, la Maison, s’écrasèrent sur les vitres, cinglèrent les tôles, et un nouveau règne commença dans de grands souffles de vent et un grand tumulte de branches cassées. (p. 562)

Ce procédé – qui s’apparente à ce que Frédéric (1985: 158) appelle une distribution répétitive – consiste à reprendre, en des points quelconque de l’empan, le plus souvent trois fois (comme en 1 et 2), mais parfois quatre (3), voire cinq fois (en 4, ci-après), non pas le même signifiant, mais des signifiants différents, des verbes conjugués au même temps. Gadenne reproduit de cette manière le tempo de la nature, rythme scandé et renforcé au niveau sémantique par la variation lexicale, le choix des temps – l’imparfait donnant l’impression de l’inachevé, le passé simple délimitant des actions ponctuelles (Riegel et al., 2001: 303, 308) –, mais aussi, et surtout, par le jeu, particulièrement intéressant, de la répétition des morphèmes grammaticaux[7] : -ait ; -irent ; -èrent.

En italien, la matrice est bien sûr reproduisible, de même que l’effet de répétition par le biais des terminaisons en -eva ; -iva ; -ava ; -arono :

1a. Al limite della prateria, partiva una strada stretta, si perdeva dietro un cespuglio e riappariva più lontano, inerpicandosi su un poggio.
2a. [Il torrente] passava tra i grossi blocchi di roccia urlando, poi si rivoltava con un colpo di reni e mostrava la sua pancia.
3a. Grandi cambiamenti si annunciavano al Crêt d’Armenaz. Le ultime nevicate passarono in rapidi acquazzoni, batterono i boschi, la Maison, si schiacciarono sui vetri, sferzarono le lamiere, e un nuovo regno ebbe inizio con grandi aliti di vento e grande tumulto di rami spezzati.

En 3 et 3a, les allitérations en [s], [t], [kR] en français (passèrent ; battirent ; s’écrasèrent ; cinglèrent), en [s], [t], [sk], [sf] en italien (passarono ; batterono ; schiacciarono ; sferzarono) donnent non seulement à voir, mais également à entendre les bruits des phénomènes.

Dans l’exemple 4, on est frappé par la richesse produite par la matrice. L’effet d’uniformité que crée la répétition du morphème grammatical en -aient, rendu en italien en -avano, scande le mouvement des nuages, comparés à des béliers, qui s’abattent sur le sanatorium. Comme des petites touches sonores, la répétition du pronom réfléchi de certains verbes, se/s’ en français et si en italien, produit un léger effet d’ampleur du mouvement. L’absence du pronom avec rotolavano est compensée, au niveau des sonorités, par su se stesse :

4. Certains nuages couraient au ras de la prairie comme des béliers, se gonflaient tout en approchant, bousculaient les buissons, les arbres, se roulaient sur eux-mêmes, puis s’irruaient par toutes les trouées de la façade, venant lécher les corps, à petits coups, du haut de leurs langues glacées. D’autres au contraire s’abattaient du ciel, se déroulaient en écharpes, flottantes, perdaient un lambeau, en attrapaient un autre, supprimaient au passage un sapin, un bouquet de hêtres, puis bondissaient au-dessus de la maison. (p. 116-117)

4a. Certe nuvole correvano rasentando la prateria come arieti, si gonfiavano avvicinandosi, strattonavano i cespugli, gli alberi, rotolavano su se stesse, poi irrompevano attraverso tutti i varchi della facciata, arrivando dall’alto a lambire i corpi, con piccoli tocchi delle loro lingue ghiacciate. Altre, invece, si abbattevano dal cielo, si srotolavano come sciarpe, fluttuanti, perdevano un lembo, ne afferravano un altro, sopprimevano al passaggio un abete, un mazzo di faggi, poi balzavano sopra la casa.

En italien (4a), remarquons la présence de deux gérondifs utilisés pour rendre au ras de la prairie et tout en approchant, répétition qui n’existe pas dans le texte de départ.

Parfois, la répétition de mots grammaticaux monosyllabiques tels que puis/poi interrompt brièvement le rythme. Nous trouvons ce staccato en 2, et ici même, en 4, où le mot est répété deux fois, toujours pour créer une pause avant de terminer le mouvement par un verbe d’activité – … puis s’irruaient/… poi irrompevano… ; … puis bondissaient/… poi balzavano… . Enfin, nous attirons l’attention sur la présence de participes présents/gerundi, en 4 (… venant lécher les corps…/… arrivando dall’alto a lambire i corpi) mais aussi en 5 (… l’animant d’une vie monstrueuse… projetant…/… animandola di una vita mostruosaproiettando…), qui semblent provoquer un effet de ralentissement plus ou moins marqué du rythme, un adagio après la succession enlevée des actions exprimées précédemment :

5. […] la montagne, mystérieusement, s’éveillait : des ombres insolites se mettaient à la parcourir de bas en haut, creusaient ses flancs, ravinaient sa tête, l’animant d’une vie monstrueuse et projetant le long de ses pentes comme une autre image d’elle-même. (p. 151)

5a. […] la montagna, misteriosamente, si risvegliava: ombre insolite si mettevano a percorrerla dal basso in alto, scavavano i suoi fianchi, erodevano la sua testa, animandola di una vita mostruosa e proiettando lungo i suoi pendii quasi un’altra immagine di se stessa.

En 6, où la répétition se déploie d’abord au niveau rhématique, puis thématique, les composants verbaux de la matrice correspondent à des plus-que-parfaits véhiculant une idée d’antériorité et d’accomplissement (Riegel et al., 2001 : 310, 311). Il se crée ici une répétition de type anaphorique au niveau de l’auxiliaire (avaient et avait en 6) avec variation du verbe choisi :

6. Le torrent roulait dans ses eaux des pierres qui avaient appartenu à cette altière muraille et avaient fait partie de sa structure. Et avec elles il avait creusé ce sol qui, depuis si longtemps, appartenait à la forêt seule, et il avait léché les racines de tous ces arbres dont la nuit ne faisait plus qu’un seul être immense, auquel il se mêlait et prêtait sa vie. (p. 461)

6a. Il torrente faceva rotolare nelle sue acque pietre che erano appartenute a quella superba muraglia e avevano fatto parte della sua struttura. E con loro aveva scavato quel suolo che, da così tanto tempo, apparteneva solo alla foresta, e aveva lambito le radici di tutti quegli alberi la cui massa notturna non era ormai che un unico essere immenso, al quale si mescolava e prestava la sua vita.

Côté italien, la répétition n’est pas totalement reproduite au niveau formel car le premier verbe (erano appartenute) ne présente pas le même auxiliaire – c’est une des limites grammaticales à la répétition relevées par Bramati (2013: 504-505). Cependant, la rime en -ano est conservée et la proximité sonore de aveva et avevano, l’un étant contenu dans l’autre, permet malgré tout de respecter en italien une certaine uniformité sonore au sein de la répétition. Par rapport aux exemples observés précédemment, le rythme qui est construit ici n’est pas du même ordre. Ce n’est plus la nature dans ses manifestations les plus violentes qui est décrite, mais la permanence de ses éléments – le torrent, la muraille, la forêt – et leur pérenne fusionnement. La forme verbale composée, avec la répétition à l’identique du composant initial, provoque, en français et en italien, un allongement rythmique qui donne à percevoir cet état des « choses éternelles » (Sarrou, 2003: 12). Le jeu des répétitions à l’œuvre ici montre que le son et le sens sont indivisibles (Prak-Derrington, 2011: 295).

La démarche est comparable en 7, où il est question du grand arbre, que Simon monte voir tous les jours, où nous avons également la répétition à l’identique, cette fois, d’un plus-que-parfait (avait travaillé/aveva lavorato) suivi de deux autres avec variation du verbe (avait tissé… noué/aveva tessuto… stretto) :

7. [Le grand noyer] C’était un être immense et profond qui avait travaillé la terre, année par année, à pleines racines, et qui avait travaillé pareillement le ciel, et qui de cette terre et de ce ciel avait tissé cette substance inébranlable, et noué ces nœuds contre lesquels le fer eut été sans pouvoir. (p. 382-383)

7a. Era un essere immenso e profondo che aveva lavorato la terra, anno dopo anno, a piene radici, e che aveva lavorato ugualmente il cielo, e che da questa terra e da questo cielo aveva tessuto questa sostanza incrollabile, e stretto questi nodi contro i quali il ferro sarebbe stato senza potere.

Notons que la répétition est amorcée par le pronom relatif qui/che, répété trois fois dans l’empan, marqué par une intensité rythmique que provoque la double répétition de qui avait travaillé/che aveva lavorato, avec une variation lexicale après le troisième qui avait/che aveva, où il y a une disjonction des éléments de la relative (Frédéric, 1985: 162) – épanode –, une dilatation du segment, avec l’insertion d’une incise (de cette terre et de ce ciel/da questa terra e da questo cielo) et d’un COD (cette substance inébranlable/la sostanza incrollabile) qui entraînent un ralentissement du tempo, dû aussi à l’élision du pronom relatif et de l’auxiliaire devant noué/stretto. Comme s’il y avait création d’un effet d’atténuation, de chute graduelle. La répétition de qui avait travaillé/che aveva lavorato est là pour signifier que l’arbre est le point de conjonction entre la terre et le ciel. Dans ce passage très poétique, il faut bien sûr remarquer le réseau des répétitions qui s’agencent autour de celles que nous venons de relever : la terre/le ciel//la terra/il cielo ; de cette terre/de ce ciel/da questa terra/da questo cielo ; la profusion des démonstratifs (c’/cette/ce/cette/ces) qui créent des sonorités en [s] à travers lesquelles c’est la verticalité mouvante, la sinuosité de l’arbre qui est montrée, que nous avons respectée en italien (questa/questo/questa/questi), malgré l’extension majeure des formes. Enfin, la répétition de la conjonction et/e, le polysyndète, vient renforcer l’impression de stratification, d’accumulation au fil du temps.

2.2 Une matrice syntaxique aux formes identiques

2.2.1. Le jeu du rythme et des sonorités au niveau du verbe

En 8, Simon observe la prairie de son balcon. La répétition anaphorique, sur un rythme ternaire, d’un verbe à l’identique (toujours selon le schéma X… X… X…), venait/veniva, évoque très clairement la vision et l’effet optique de l’avancée de la prairie vers le héros. En français, la répétition semble s’étendre jusqu’au dernier elle (le regardait) – venait/elle venait/elle venait/elle… – comme pour parachever la chaine rythmique et sonore. En italien, la situation est reproduite – comme l’est le plus souvent l’anaphore (Bramati 2017: 3-4) – mais sans reprise possible du pronom personnel, du fait de l’absence de celui-ci (Bramati 2013  504) :

8. La prairie venait à lui, coulant comme une eau verte, intarissable, étoilée de points multicolores ; elle venait se mettre à son niveau, elle venait s’appliquer avec une sorte de douce frénésie contre les barreaux du balcon d’où elle le regardait, lui, l’hôte étrange de cette chambre, l’habitant de cette cabine, le passager aux exaltations solitaires. (p. 212)

8a. La prateria gli veniva incontro, scorrendo come un’acqua verde, inesauribile, costellata di punti multicolori; veniva a mettersi al suo livello, veniva ad applicarsi con una sorta di dolce frenesia contro la ringhiera del balcone da dove lo guardava, lui, lo strano ospite di questa camera, l’abitante di questa cabina, il passeggero dalle esaltazioni solitarie.

Nous avons vu jusqu’à présent comment Paul Gadenne restitue, par l’emploi des répétitions, la mobilité verticale, horizontale, saccadée du monde de la nature. Parfois, cependant, le point de vue se focalise aussi sur des aspects qu’offre le spectacle de la nature, comme les changements chromatiques du paysage. Ce focus s’exprime alors par la répétition du verbe être/essere. Les exemple 9 et 9a le montrent bien :

9. C’est ce pelage qui, tout à coup, était devenu roux. Et c’était cette rousseur qui se propageait peu à peu comme un incendie. Et au-dessus, il y avait la muraille brune et crevassée de la corniche. L’automne était une grande flamme qui léchait silencieusement la pierre. Par endroits, cette flamme se déchirait et laissait apparaître, dans un trou, les pointes noires des sapins. Mais elle se reformait au-dessus et montait, et montait, avec de grands coups de langue tout dorés, vers le bleu du ciel. (p. 273)

9a. Era questo pelo che, di colpo, era diventato rosso. Ed era questo rosso che si propagava a poco a poco come un incendio. E sopra c’era la muraglia bruna e crepata della balza. L’autunno era una grande fiamma che lambiva silenziosamente la pietra. A tratti, questa fiamma si strappava e lasciava apparire, in un buco, le punte nere degli abeti. Ma si riformava sopra e saliva, e saliva, con grandi colpi di lingua tutti dorati, verso l’azzurro del cielo.

En 9, la focalisation passe par la répétition de la structure de base de mise en relief introduite par le présentatif c’est avec proposition relative : c’estqui… ; la première apparition, c’est ce… qui… dirige le regard sur les cimes des arbres devenues rousses ; mais le champ visuel s’élargit graduellement à tout le paysage que l’automne est en train de colorer, d’abord avec être, dans le plus-que-parfait, était (devenu roux), puis, avec sa reprise dans la structure présentative de mise en relief c’était cette… qui, jusqu’à était une grande flamme. Nous remarquons là encore la fonction du polysyndète en et/e (Et c’était cette rousseur qui…/Ed era questo rosso che… ; Et au-dessus, il y a avait…/E sopra c’era…) qui vient marquer le mouvement du regard. Le mouvement des éléments n’en n’est pas pour autant délaissé, étant lui aussi marqué par un polysyndète en et dans l’anadiplose – répétition immédiate – de et montait, qui vient marquer et montrer le mouvement ascendant graduel de la variation chromatique. En 9a, la répétition, rendue à l’identique, présente une uniformité majeure par l’emploi de l’imparfait, era, dès le début, pour des raisons de concordance des temps ; d’autre part, par l’emploi de c’era, pour il y avait. Elle est donc mieux distribuée dans tout l’empan. La répétition de e saliva, e saliva, a été respectée, avec les mêmes intentions. Notons de plus la répétition créée en italien de rosso pour roux et rousseur.

Les répétions du verbe être/essere sont utilisées également pour évoquer le statisme des éléments de la nature. Cela se vérifie par exemple lorsque Simon observe le paysage nocturne, sous la lune :

10. Le jeune homme s’était levé. Il s’était approché du balcon sans bruit, retenant presque ses pas… Oui, tout était divinement pareil ! Ce n’était pas la nuit, ce n’était qu’un jour diminué. La lueur de la lune était posée à même le sol, comme un vêtement que sa finesse rend insaisissable, et des ombres calmes et bleues ruisselaient des sommets qui diffusaient au bas du ciel une sorte de clarté laiteuse. La lune même était cachée à Simon […]. Il y avait, dans le rayonnement de cette lumière sans chaleur, une douceur attirante et mystérieuse […]. (p. 331)

10a. Il ragazzo si era alzato. Si era avvicinato al balcone senza far rumore, quasi trattenendo i passi… Sì, tutto era divinamente uguale! Non era la notte, era soltanto un giorno ridotto. La luce della luna era poggiata direttamente sul suolo, come un vestito la cui finezza rende inafferrabile, e ombre tranquille e azzurre grondavano dalle cime che diffondevano nella parte bassa del cielo una sorta di chiarore lattescente. La luna stessa era nascosta a Simon […]. C’era, nell’irraggiamento di questa luce senza calore, una dolcezza attraente e misteriosa […].

Là aussi, il est intéressant de voir comment Gadenne prédispose le regard contemplatif de son personnage – Le jeune s’était levé. Il s’était approché du balcon –, à travers l’emploi de deux actions antérieures et accomplies exprimées par des verbes pronominaux au plus-que-parfait permettant la répétition de l’auxiliaire (s’était/si era). Était/era est ensuite répété, avec variation du thème et focalisation sur le paysage. Par la répétition de était/era, un plan horizontal est établi, Simon se trouvant au même niveau que ce qu’il observe. La forme négative – ce n’était pas – suivi de la forme restrictive – ce n’était que –, avec répétition du verbe être à l’identique, créent une sorte de parallélisme formel et, là encore, une focalisation sur un phénomène presque magique : la nuit sous le clair de lune se réduit à un jour moins lumineux. En 10a, ce parallélisme n’a pas été rendu pour éviter la lourdeur de deux formes trop proches (Non era la notte, non era che un giorno ridotto).  Nous avons opté pour une tournure plus explicative. D’autant que le réseau des répétitions de era s’enrichit d’une forme avec l’équivalent de il y avait. Nous constatons (ici, mais aussi en 4a, 9a) qu’en italien, des éléments peuvent s’ajouter au réseau des répétitions, pour des raisons liées à la langue, sans que cela alourdisse le résultat. Ce mouvement d’ajout s’oppose à celui de l’élimination (Bramati, 2013).

Enfin, la matrice peut engendrer, et jouer sur, la répétition d’une préposition, liée à un verbe précédent, et donner lieu, comme dans les exemples analysés jusqu’à présent, à une succession de verbes d’activité ou pas, le plus souvent sur un rythme ternaire. C’est ce que nous pouvons voir en 11 et 11a, où ce sont à nouveau les traits et les mouvements de la nature qui sont montrés :

11. Mais si l’on allait plus loin, on voyait que le paysage continuait à faire à travers la nuit de grands gestes pour lui seul, à inscrire çà et là des figures, à poser des signes. La nature forçait l’attention. La nuit même avait une façon à elle de s’étaler, de s’offrir, de se mettre à votre niveau, de descendre vers vous, avec ses bouquets de froides lueurs, si proches qu’il suffisait d’avancer la main pour les cueillir. (p. 463)

11a. Ma se si andava più lontano, si vedeva che il paesaggio continuava a fare nel corso della notte grandi gesti solo per sé, a inscrivere qua e là figure, a porre segni. La natura forzava l’attenzione. La notte stessa aveva un suo modo di estendersi, di offrirsi, di mettersi al vostro livello, di scendere verso di voi, con i suoi mazzi di luci fredde, così vicini che bastava tendere la mano per coglierli.

Ici, la préposition à générée par le verbe continuer, est répétée trois fois, introduisant à chaque fois une variation du verbe qui suit ; en 11, notons que l’assonance en [a] est renforcée par le à de à travers et la locution adverbiale çà et là. En 11a, l’effet est reproduit et l’absence de l’assonance en [a] au niveau de la locution adverbiale à travers/nel corso est compensée par le déploiement de l’assonance au niveau de tout l’empan : Ma/andava/vedeva/continuava/della, etc. Dans la deuxième partie du passage montrant l’arrivée de la nuit, c’est la préposition de, générée par avoir une façon, qui est répétée et qui introduit une succession de trois verbes pronominaux – s’étaler, s’offrir, se mettre – et un quatrième, descendre. L’effet produit de la répétition de de et des infinitifs est comparable à celui décrit en 8 et 8a, mais ici, les infinitifs rendent l’idée d’un mouvement lent et progressif. En 11a, l’effet a été maintenu avec toutefois des variations sonores dans la morphologie des verbes – -ersi/-irsi/-ersi –, différences que la position du pronom réfléchi en fin d’infinitif semble atténuer.

2.2.2 Le jeu du rythme et des sonorités au niveau des « petits mots » grammaticaux

La répétition chez Paul Gadenne se réalise également dans les plis de l’écriture, au niveau des petits mots grammaticaux, et le plus souvent de la stratification rhématique : les adjectifs démonstratifs ; les prépositions dans, sous, pour, par ; la négation ni, l’adverbe si ; etc. C’est en ces lieux, le plus souvent sur un rythme ternaire, que la répétition impulse de la richesse lexicale, (nominale et adjectivale), venant pointer cette fois la nature et les qualités des éléments décrits. En 12, Simon regarde les nuages qui, belliqueusement, descendent sur le paysage :  

12.  Depuis son arrivée en ce lieu sinistre, la nature ne lui avait offert pour tout spectacle que cette meute affairée, cette morne chevauchée, ces escadrons blafards qui semblaient décidés à tout balayer sur leur passage. À peine le paysage se découvrait-il après une charge qu’un autre bataillon se reformait plus loin ; la prairie, les bois, la maison disparaissaient sous ce cortège dément, dans cette procession en folie, ce sabbat dérisoire et glacial. Cela sortait à la fois du ciel, de la terre, des rochers même. (p. 116)

12a. Dal suo arrivo in questo luogo sinistro, la natura non gli aveva offerto altro come spettacolo che questo branco concitato, questa cupa cavalcata, questi squadroni lividi che parevano decisi a spazzare tutto al loro passaggio. Non appena si sgombrava il paesaggio dopo una carica, un altro battaglione si formava di nuovo più in là; la prateria, i boschi, la casa scomparivano sotto questo corteo insensato, in questa processione folle, in questo pandemonio derisorio e glaciale. Tutto ciò usciva sia dal cielo sia dalla terra, dalle rocce stesse.

Le foisonnement des déictiques (cette/cette/ces/ce/cette/ce/cela), qui introduisent à chaque fois une manière différente de désigner la masse des nuages (meute affairée/morne chevauchée/escadrons blafards//cortège dément/procession en folie/sabbat dérisoire et glacial), rend parfaitement l’idée d’emballement et de puissance du phénomène qui se déroule sous les yeux du héros, avec un rythme ternaire renforcé par l’énumération la prairie/les bois/la maison qui provoque une sorte de scansion visuelle donnant à voir le mouvement progressif des nuages sur les autres composants du paysage, procédé réitéré en fin d’empan avec du ciel/de la terre/des rochers. Pour rendre cette impression de fougue et de ferveur, nous avons jugé utile de reproduire la répétition des déictiques dans la version italienne. Pour des raisons rythmiques, nous avons même redoublé la préposition in pour dans, qui ne l’est pas en français. Dans la dernière phrase, nous avons renforcé ciò par tutto, pour des questions rythmiques, et avons recouru à la forme sia… sia, équivalent de à la fois, qui, toujours pour des raisons rythmiques, renforce et équilibre le rythme ternaire et les sonorités en [s] : sia dal cielo/sia dalla terra/dalle rocce stesse.

En 13, nous avons la triple répétition d’une même préposition et d’un même déictique – dans ces/dans ces/dans ces – introduisant par des désignations différentes, l’idée d’un mouvement circulaire – volutes/enlacements/tourbillons – dans le lequel la terre et le ciel sont engagés :

13. Les jours suivants, la terre et le ciel restèrent confondues dans ces volutes, dans ces enlacements, dans ces tourbillons ; ils ne formaient plus qu’une masse grise, sans commencement ni fin, sans bornes distinctes ; il n’y avait plus d’horizon. (p. 520)

13a. I giorni seguenti, la terra e il cielo rimasero confusi in quelle volute, quei viluppi, quei vortici; formavano ormai solo una massa grigia, senza inizio né fine, senza limiti distinti; non c’era più orizzonte.

Cet exemple est particulièrement intéressant car la répétition de dans ces, produit l’effet sonore [dɑ̃se] qui vient consolider l’idée de mouvement circulaire et nous fait toucher du doigt la « matérialité » des mots, par la répétition (Prak-Derrington 2011: 296). La double répétition de sanssans commencement/sans bornes –, en fin d’empan, vient quant à elle ajouter l’idée de « mouvement perpétuel » et a pour fonction de renforcer les sonorités en [s] et [ɑ̃] : dans ces/sans. La correspondance dans ces/danser n’a bien évidemment pas pu être rendue en italien. Cependant, nous avons compensé en jouant sur le sémantisme (« mouvement circulaire ») des trois désignations – volute/viluppi/vortici – et leurs allitérations en [v]/[o] et [[i]] et, pour diriger l’attention sur ces formes, tronqué la répétition de la préposition, afin d’obtenir : in quelle/quei/quei. La répétition de senza, équivalent de sans, s’intègre bien, au niveau sonore, dans le réseau des assonances en [a] environnant : formavano/una/massa/grigia/c’era et senza inizio/senza limiti restitue, au niveau sémantique, l’idée de mouvement perpétuel.

En 14, c’est la combinaison de la conjonction négative ni et de la préposition pour qui est répétée quatre fois : ni pour/ni pour/ni pour/ni pour générée par la tournure négative ce n’était :

14. Mais ce n’était ni pour ces crêtes, ni pour la vue plongeante sur la vallée, ni pour la couleur sourde du rocher, ni pour l’extrême solitude de ce lieu que Simon préférait la route des Hauts-Praz à toute autre. Il n’avait qu’une pensée, qu’un désir : car, à quelques pas plus haut, après le second tournant, il savait qu’il allait rejoindre l’arbre qu’il aimait. (p. 381)

14a. Ma non era né per questi spigoli, per la vista a strapiombo sulla vallata, per il colore sordo della roccia, né per l’estrema solitudine di quel luogo che Simon preferiva la strada di Hauts-Praz a qualsiasi altra. Non aveva che un solo pensiero, che un solo desiderio: perché, a qualche passo più su, dopo il secondo tornante, sapeva che avrebbe raggiunto l’albero che amava.

La répétition se construit ici sur un élément susceptible, à la base, d’être réitéré au moins une fois, selon le schéma suivant : ne… ni… ni. La structure est donc simplement dédoublée et donne lieu à un effet de profusion. La préposition introduit en fait un panorama et une succession de possibles paysages et un état, visibles de la route des Hauts-Praz : ces crêtes/la vue plongeante sur la vallée/la couleur sourde du rocher/l’extrême solitude de ce lieu. Ce procédé de répétition ne fait qu’intensifier l’effet de soustraction qui annonce l’arrivée de l’arbre exprimée plus loin, et l’émerveillement qu’en ressent Simon, renforcé par la structure restrictive, avec duplication de la conjonction que : il n’avait que… que… :

En 14a, pour maintenir la focalisation sur les éléments du paysage visibles de la route, nous avons répété à l’identique né per. Dans la deuxième partie du passage, la structure restrictive est rendue, non… che un, mais elle est renforcée par solo, répété ensuite, avec che un devant desiderio, pour des raisons rythmiques : Non aveva che un solo pensiero, che un solo desiderio… Là aussi, en italien, nous avons enrichi, pour le rythme (Bramati, 2013: 506), la chaine des répétitions.

En 15, notre attention s’est focalisée sur la répétition de l’adverbe si, répété trois fois – toujours pour respecter le rythme ternaire – et qui introduit trois adjectifs, humble/noble/nu, qualifiant l’apparence de la route : avec un air si humble, si noble, si nu…, un air étant repris ensuite, selon le schéma ABBA de l’antimétabole :

15. Ce n’était pas tellement l’objectif de cette route qui importait, c’était sa physionomie, ses accidents, ce n’était même que son départ, cette façon qu’elle avait de se lancer dans l’aventure, avec un air si humble, si noble et si nu, un air d’avoir pris son parti et de s’engager, oui ! (p. 212-213)

15a. Non era tanto la meta di questa strada che importava quanto la sua fisionomia, le sue asperità, anzi era il suo stesso inizio, questo suo modo di lanciarsi nell’avventura, con un’aria così umile, così nobile e così nuda, l’aria di chi ha fatto la sua scelta e di chi s’impegna, sì!

Il faut remarquer là aussi l’effet créé par la répétition de si suivi de formes adjectivales dont la longueur diminue graduellement. Le rapetissement de la forme adjectivale correspond à l’effet de perspective de la route, de sa montée que Simon observe et qu’il a à cœur puisqu’elle mène à l’arbre aimé. Le résultat obtenu en 15a, avec con un’aria così umile, così nobile, così nuda, l’aria di chi…. di chi…, pour rendre l’effet que nous venons d’évoquer, propose un rythme et une longueur graphique plus uniforme au niveau de così umile, così nobile et marque davantage l’idée d’élancement et de montée graduelle, mais inexorable, de la route, que de perspective visuelle, par la répétition de di chi… di chi…, référé à la route.

Conclusion

Au terme de cette brève étude, nous constatons que les figures de répétition, déployées en réseau, aux niveaux grammatical, lexical et phonique, au sein de matrices syntaxiques, huilent savamment les rouages de la dynamique textuelle de Siloé. Dans les descriptions des paysages, les éléments répétés constituent bien, en tout et pour tout, des formes-sens. À travers leur « corporéité » ou « matérialité » formelle, sémantique et sonore, réitérées, c’est le corps tantôt mouvant tantôt statique de la nature qui est donné à voir, le corps tantôt retentissant, tantôt silencieux qui est donné à entendre. Le lecteur, avec Simon Delambre, s’immerge, grâce aux jeux des répétitions, dans une sorte de poème symphonique où il lui est possible de percevoir le rythme, les sons, de discerner les coloris, de sentir l’espace et le souffle vital, qui guérira Simon, des montagnes d’Armenaz.

La figure de répétition, fondamentale dans la poétique gadennienne, nous a poussée, dans la traduction italienne, à reproduire les matrices syntaxiques et à respecter, en leur sein, les reprises phoniques, grammaticales et lexicales. Parfois même, nous n’avons pas hésité à ajouter au réseau des répétitions, pour les raisons liées à la structure de la langue ou stylistiques (4a, 9a, 12a, 14a, 15a), des éléments, sans que cela alourdisse le résultat. Ce mouvement d’ajout, qui s’oppose à celui de l’élimination, constitue, à notre sens, une catégorie intéressante à approfondir.

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Notes

[1] Paul Gadenne, Les Hauts-Quartiers, Le fond et la forme, Office national de radiodiffusion télévision française, 19 février 1973, https://www.ina.fr/video/CPF10005871/paul-gadenne-les-hauts-quartiers-video.html

[2] L’œuvre de Gadenne, méconnue et inclassable, a été peu traduite. Siloé (1941) ne le fut qu’en allemand, en 1952 (Die Augen würden ihm aufgetan, Dt. Verlag-Anst, trad. Wilhelm E. Süskind) ; en italien, seule la nouvelle Baleine a été traduite (La balena, Feltrinelli, trad. Laura Guarino, 1986).

[3] Récit en partie autobiographique, Gadenne était lui-même atteint de tuberculose ; il en mourra en 1956.

[4] Actuellement en cours de réalisation, elle est établie à partir de Gadenne [1974] (2013).

[5] Voir sur ce sujet Prak-Derrington (2015b : 7-12).

[6] Nous renvoyons également à de récentes études extrêmement complètes sur la notion de répétition, en langue et en discours, comme Druetta (2017) et Paissa et Druetta (2019).

[7] Il n’existe pas de terme pour désigner les répétitions de morphèmes lexicaux et grammaticaux, ce que déplore Prak-Derrington (2015b : 18).

About the author(s)

Pascale Janot teaches French in the Department of Legal Sciences, Language, Interpretation and Translation at the University of Trieste (Italy). Her main research interest is the analysis of discourse and translation. She is also a professional translator and co-director of po&psy; (éditions érès, Toulouse), a small publisher specialised in poetic translation.

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©inTRAlinea & Pascale Janot (2020).
"Traduire la poétique du paysage de Siloé de Paul Gadenne au rythme des figures de répétition", inTRAlinea Vol. 22.

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