Traduire les minorités linguistiques des sphères anglophone et francophone

Appel à communications : Colloque international

Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3. 28-29 mai 2020

traductologie, sociolinguistique, études culturelles

Texte de cadrage

Dans un monde aux frontières déjà bouleversées par les conflits et déplacements de population du XXᵉ siècle, la fin de l’ère coloniale et les mouvements de revendications des années 1960-70 finissent d’affaiblir les certitudes d’une Europe vieillissante. Le discours intellectuel dominant, forcé de reconnaître la voix des jeunes, des minorités, des oubliés et des déplacés, doit peu à peu s’adapter aux mutations de son époque. Dans ce contexte, l’essor des études post-coloniales puis décoloniales, des études de genre ou de la sociolinguistique dans les dernières décennies témoigne d’un véritable effort de décentrement, et a pris part à la valorisation de nouvelles voix et perspectives intellectuelles.

Le développement de l’intérêt académique et institutionnel pour les langues minoritaires, aussi relatif qu’il soit, constitue un bon exemple de ces dynamiques – comme en témoigne l’élaboration et la ratification par vingt-cinq pays de la Charte Européenne des Langues Régionales ou Minoritaires de 1992, ou l’organisation d’évènements scientifiques de plus en plus nombreux autour des langues et cultures minoritaires. Ces différentes initiatives et publications ont pu participer à rendre visibles ces groupes minoritaires et leurs problématiques propres (discriminations, insécurité linguistique, opportunités économiques, accès aux cultures mondiales, etc. [Macaulay 1997, Cronin 1995]).

L’émergence de ces nouveaux enjeux pose un défi de taille au traducteur de fiction comme de non-fiction, qui se trouve confronté à une réalité plurielle, bien éloignée de l’ancienne conception monolingue et européo-centrée des langues standard [Macaulay 1997]. Langues minoritaires, régionales, mais aussi accents, dialectes, sociolectes, parlers jeunes ou queer, langues d’immigration, des anciens pays colonisés ou des diasporas, représentent autant de minorités linguistiques au sens large1, qui viennent aujourd’hui redéfinir les frontières entre les langues et questionner l’agentivité du traducteur.

Traduire la diversité, l’hybridité et la variation linguistique soulève ainsi des questions éthiques et politiques, dans la mesure où traduire l’Autre implique un triple questionnement : (1) des rapports de force dans et entre les langues, (2) de la réception de l’altérité, et (3) du positionnement du lecteur-traducteur. La traductologie contemporaine, depuis le “tournant culturel” des années 1990 [v. Bassnett et Lefevere 1990], cherche à apporter des réponses à ces questions et à repenser l’altérité en traduction à la lumière des études culturelles, de la sociolinguistique, et de la sociologie du marché littéraire mondialisé.

En se concentrant sur les dynamiques propres à la traduction des minorités linguistiques à l’intérieur et entre les sphères anglophone et francophone, présentes sur les cinq continents, nous pourrons ainsi initier un mouvement pour sortir de ce que Michael Cronin qualifie de vision homogénéisante et essentialiste de l’Europe2. Notre dialogue avec les marges de deux grandes puissances culturelles européennes permettra d’engager une remise en question des hiérarchies inhérentes à ces deux aires linguistiques, et d’ouvrir la voie vers une future réflexion multilingue.

Proclamée « Année Internationale des Langues Autochtones » par l'Assemblée Générale des Nations Unies, 2019 nous paraît être une année particulièrement adaptée pour entamer ces réflexions.

 1 Définition du concept de minorité selon Francisco Capotorti pour les Nations Unies : « A group numerically inferior to the rest of the population of a State, in a non-dominant position, whose members – being nationals of the State – possess ethnic, religious or linguistic characteristics differing from those of the rest of the population and show, if only implicitly, a sense of solidarity, directed towards preserving their culture, tradition, religion or language » [Capotorti 1979 : 96 § 568]

2 « The signal failure to account for the linguistic and translational complexity of Europe in part stems from the tendency by post-colonial critics to reduce Europe to two languages, English and French, and to two countries, England and France. Thus, the critique of imperialism becomes itself imperialist » [Cronin 1995]

Axes de réflexion

Ce colloque de deux jours comprendra plusieurs panels thématiques, ateliers et tables rondes qui s'interrogeront sur la représentation des minorités linguistiques dans les contextes anglophone et francophone à travers le prisme de la traduction. C’est à cet égard que nous invitons des interventions qui examinent la manière dont les minorités linguistiques sont présentées dans des textes littéraires et audiovisuels, aussi bien que dans les médias, en proposant une réflexion autour de questions telles (liste non-exhaustive) :

  • le positionnement éthique de l’auteur et du traducteur
  • l’authenticité et l’accessibilité de la voix de l’Autre / l’influence du public visé sur la véracité linguistique du texte (original et traduit) 
  • le rôle du marché dans la traduction commerciale 
  • l’influence des parties externes sur le processus de traduction 
  • la traduction intralinguale et/ou la standardisation de langues/variétés linguistiques mineures 
  • les stratégies innovantes de traduction / la créativité du traducteur 
  • la tension entre l’oral/l’oralité et l’écrit
  • l’auto-traduction comme forme éventuelle d’émancipation pour écrivains minoritaires 
  • les questions de temporalité des langues et variétés linguistiques minoritaires 
  • le rôle du paratexte dans la présentation de l’Autre / le lien entre le paratexte et les stratégies de traduction utilisées dans le texte 
  • la (non-)traduction et la disponibilité de la voix de l’Autre 
  • les questions de pouvoir et la construction de l’identité 
  • le rôle des médias dans la construction d’une réputation de groupes minoritaires 
  • la place de la langue mineure dans le texte (ex. narration v. dialogue, personnage principal v. personnages isolés)

Si le sujet invite à une réflexion profondément pluridisciplinaire, et que la participation de spécialistes d’autres disciplines (linguistique, sociolinguistique, dialectologie, littérature, études des médias, études anglophones, études francophones, etc.) est plus qu’encouragée, les communications devront avoir pour axe central la question de la traduction. La présentation de cas pratiques de traduction et les interventions de professionnels (traducteurs, éditeurs, journalistes etc.) seront ainsi grandement appréciées. Ce colloque traitera exclusivement des sphères anglophones et francophones dans un premier temps, en espérant ouvrir la réflexion vers une perspective multilingue lors d’un prochain événement.

Bibliographie indicative

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URL: https://digitallibrary.un.org/record/10387?ln=fr [consulté le 29/07/2019]

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Posted by The Editors on 20th Sep 2019
in Call for Papers

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